Via Le Monde Blog
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Couverture de "Newsweek" du 27 juillet 1970.
C'est une édition du 27 juillet 1970, du magazine américain Newsweek, titrée "La vie privée est-elle morte ?", et repérée par le Daily Beast. Dedans, un article de six pages, qui montre que les inquiétudes soulevées par les
révélations sur la surveillance, par l'Agence américaine de la
sécurité, des données personnelles des internautes et des communications
téléphoniques ne datent pas d'hier. Même, elles apparaissent dès lors comme le dernier rebondissement masquant une tendance plus longue.
En 1970 donc, Newsweek expliquait que "durant les vingt dernières années, les Etats-Unis sont devenus (…)
l'un des pays qui espionnent le plus et sont le plus soucieux de ses
données dans l'histoire mondiale. Les gros commerçants, les petits
commerçants, l'administration fiscale, les institutions de police, les
organismes de recensement, les sociologues, les banques, les écoles, les
centres médicaux, les patrons, les agences fédérales, les compagnies
d'assurance (…), tous cherchent obstinément, stockent et
utilisent chaque parcelle d'information qu'ils peuvent trouver sur
chacun des 205 millions d'Américains, individus et groupes". Bref, "très
bientôt, toute la vie et l'histoire d'une personne va être disponible
en un clic sur un ordinateur. On va finir en 1984 avant d'avoir atteint
cette année", prévoyait, à cette époque, un juriste américain.
>> Lire la note de Big Browser : "Le scandale de la surveillance des données personnelles booste les ventes de "1984'"
L'article énumère une série d'anecdotes où s'entrechoquent collectes
de données pour la sécurité et protection de la vie privée. Par exemple,
cette bibliothécaire qui a reçu une visite d'employés de l'IRS,
l'agence américaine chargée des impôts, lui demandant de lui fournir les
noms des "utilisateurs de matériel militant et subversif" – ouvrage sur les explosifs ou biographie du Che Guevara. Ou ce fichier de l'armée fichant les "potentiels perturbateurs ostensibles de la paix", "en plus des 7 millions de fichiers de routine" sur la loyauté ou le statut criminel des citoyens.
Le chapitre sur les écoutes téléphoniques est tout aussi parlant : les écoutes légales, "prudemment
utilisées pendant la seconde guerre mondiale pour pister les espions et
les saboteurs, sont devenues une pratique si banale du FBI et de la
police à la fin des années 1950 qu'elles étaient menées, dit-on, contre
chaque bookmaker du coin". A la suite de l'indignation de certains politiques,
"le Congrès a spécifié en 1968 que le département de justice, le FBI et
la police ne pouvaient pratiquer la surveillance électronique qu'avec
un ordre de justice". Mais le gouvernement fédéral se réserve
toujours le droit de faire des écoutes clandestines, sans ordre de
justice, dans l'intérêt de la "sécurité nationale", explique Newsweek. Avant de préciser – de manière un peu incongrue, vu d'aujourd'hui : "La méfiance grandissante envers le téléphone représente la seule protection réelle de la vie privée."
En parallèle de ce vaste mouvement de collecte des données, les
Américains sont devenus de plus en plus sensibles à leur droit à la
protection de leur vie privée, explique l'hebdomadaire. Ce qui n'empêche
pas, aujourd'hui, une majorité d'entre eux d'approuver la surveillance
des communications téléphoniques, et 62 % d'estimer qu'il est important
que le gouvernement fédéral enquête sur d'éventuelles menaces
"terroristes", quitte à empiéter sur la vie privée, selon un sondage publié le 10 juin.